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LA SOCIOLOGIE A LA SOURCE DU ROMAN.

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Voilà un livre passionnant à adapter en bd, tant sa lecture a fait surgir en moi et sur le papier une succession d’images et l’envie de le restituer à travers un récit dessiné, une Bd, un texte illustré? j’y pense en tout cas, mais la tâche est difficile tant le texte est puissant.
Une série de 5 émissions est à peine suffisant pour faire le tour du bouquin   «L’établi ». Celui  d’un sociologue original , Robert Linahrt, élève à Normale sup de 1963 à 1968, militant de la Gauche prolétarienne au côté de Béni Lévy.  les émissions font une large place à aux extraits du livre lus par Samy Frey particulièrement inspiré dont la voix est d’une troublante ressemblance avec celle de Robert Linarht que l’on entend à l’occasion d’entretiens dans la première et la cinquième émission de la série.
Ce bouquin est une synthèse entre étude sociologique, roman autobiographique et récit politique dont la force d’écriture oscille entre poésie du réel et description sociale inspirée.
C’est un retour au source, de ce qu’a pu être le roman au moment de son invention et sa description sociologique et politique des sociétés. Avec l’Éducation Sentimentale de Flaubert, Les Rougons-Macquarts de Zola ou plus proche dans l’engagement politique, la superbe trilogie autobiographique de Jules Vallès, l’enfant, Le Bachelier, l’insurgé.
Le récit est une fantastique plongée au cœur de l’usine, symbole de la révolution industrielle modèle de société construite sur la violence de l’exploitation.  Le double sens dans le titre introduit parfaitement le témoignage du Sociologue qui veut être au plus près de son sujet, l’ouvrier et sa condition mais aussi les doutes d’un intello inadapté manuel, impuissant à tenir les cadences et la violence de la chaine.
 L’Etabli, nomme d’abord la description de l’espace de travail de l’un des ouvriers sur la chaine, il y consacre de magnifiques pages. Cet ouvrier posté au redressage des portières a conçu son propre établi pour maitriser son travail et le temps que lui vole la Chaîne.  Les ingénieurs et La maitrise de l’usine finiront par lui supprimer et le remplacer par un outil standardisé par les ingénieurs, laissant l’ouvrier désemparé.
Illustration de la « prolétarisation » et la dépossession définitive du savoir ouvrier et la préfiguration de l’automatisation de la chaine, et la volonté du capital de faire disparaitre le travail et le geste ouvrier. transformer définitivement le travail vivant en travail mort, selon l’équation du capital de Marx
Mais c’est également le mot qui désigne l’engagement de l’universitaire militant qui « s’établit » à l’usine au cœur de la machine capitaliste et du monde ouvrier qu’est l’usine.
La pratique a été théorisé au sein des mouvements révolutionnaires de la fin des années soixante sous l’ influence du Philosophe Marxiste, Louis Althusser .
Se placer au côté de la classe ouvrière en lutte action en se faisant embaucher, établir le contact, organiser un groupe au sein de l’usine puis la grève sur les chaines de montage  pour lutter.
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Loin d’être un livre de théorie politique ou de catéchisme marxiste, on découvre un texte d’une grande profondeur qui  nous  livre l’aventure de l’universitaire devenu ouvrier et l’expérience sur la chaine aussi brutale, symbole de l’exploitation ouvrière.
L’embauche au petit matin, la marche le long de la seine dans une brume désespérante d’un hiver humide, les bus s’arrêtant et livrant leur ration d’ouvriers aux tourniquets de la cathédrale d’acier gris de Javel. Puis c’est la description saisissante du face à face de l’homme avec la chaîne.  l’intellectuel fait là l’expérience de la violence physique et mentale faites à l’ouvrier, et dans un dialogue intérieur nous fait partager ses doutes et ses peurs de ne pas être à la hauteur de l’épreuve, regardant incrédule les gestes précis obstinés de chacun des ouvriers.
Emmené à son poste de travail, dans le fracas métallique des portiques, le hurlement des chalumeaux , par un contremaitre dans une blouse aussi blanche immaculée que son visage et son tutoiement de mépris , au milieu de la multitude des travailleurs immigrés.
Dans cette musique informe et l’odeur de métal brûlé, Robert regarde Mouloud. Les clichés de son imaginaire de militant tombent; l’apparente immobilité de la chaine se mue bientôt en une terrible course contre le temps du travailleur pour ne pas « couler », image forte que les ouvriers ont trouvé pour décrire l’étouffement ressenti quand on ne peux tenir la cadence, rattrapé  par le poste suivant.
Et puis il y a la rencontre faites de méfiance puis de fraternité entre l’intellectuel et le peuple immigré recruté en masse dans les ateliers . Des pentes de la Kabylie ou du Riff, à celles des Balkans, ils alimentent la Machine de production lancée à plein régime au cœur des trente glorieuses.
Le rapport de force s’installe avec la direction de Mr Citron comme l’appelle Prévert, bien décidé à briser la grève qui s’organise.
L’excitation de la lutte. Malgré la fatigue que les maigres nuits ne peuvent soulager.
Les réunions à l’arrière des cafés ont lieu, les tracts sortent. Il y a aussi l’attente des fins de journée, la chaine va-t-elle s’arrêter ? on dresse l’oreille. les ouvriers vont-ils enfin comprendre que le pouvoir est entre leur mains.  Et même s’il y a la désillusion, la mise à l’écart puis le licenciement l’expérience reste pour Robert Linarht puissamment fondatrice.
Ce livre pose de manière concrète de l’utilité des luttes sociales et la certitude que tout cela a un sens face à discours extrêmement puissant de résignation.
Faire la jonction  entre intellectuels et ouvriers c’est l’enjeu historique principal d’un mouvement social puissant. Même si elle reste difficile elle est nécessaire entre intellectuels et travailleurs, petite bourgeoisie  et classe ouvrière. J’avais noté, il y a quelque temps, cette belle image dans une conférence gesticulée de Franck Lepage où la métaphore météorologique permettait de bien décrire ce processus: Quand La masse de savoir froid Universitaire rencontre la masse du savoir chaud des acteurs sociaux, il y a forcément orage Révolutionnaire.
 
 

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